11 octobre 2022

Interview de Raymond Sinnah par L’Usine Nouvelle

« Humens développe des produits bons pour la planète », explique Raymond Sinnah, PDG du groupe

Créé en décembre 2021 à partir de l’ex-division spécialités minérales de Seqens, Humens prend progressivement son envol. Actif dans les carbonates, bicarbonates et silicates de sodium, et fort de trois sites de production en France et à Singapour, le groupe est à taille humaine. Il met en avant son agilité et sa stratégie différenciante pour s’imposer sur un marché dominé par des mastodontes de la chimie. Détails avec Raymond Sinnah, président de Humens.

InfoChimie magazine : Pouvez-vous nous présenter la société Humens que vous dirigez depuis sa création en 2021 ?

Raymond Sinnah : Humens est née, en décembre 2021, d’un carve out du groupe Seqens, c’est-à-dire de la cession de sa division de chimie minérale, dans le domaine du carbonate, du bicarbonate et du silicate de sodium. Le groupe Seqens, quant à lui, avait été créé en 2005 (sous le nom de Novacap à l’époque), suite à la cession par Rhodia d’activités qui n’étaient plus stratégiques. Détenu successivement par les sociétés d’investissement Bain Capital, Ardian, puis Eurazeo, et enfin, Ardian et Mérieux investissement depuis 2016, Seqens est devenu de plus en plus « pharma », laissant peu de possibilités de synergies avec ses activités de chimie minérale. C’est ainsi qu’à l’occasion de la cession du groupe Seqens à SK Capital Partners, l’an dernier, la division Spécialités minérales a été séparée et poursuit sa route aux côtés de ses actionnaires historiques avec le nouveau nom Humens. J’ai pris la présidence de ce nouveau groupe, alors que je dirigeais, depuis fin 2014, cette division de Spécialités minérales chez Seqens.

Pourquoi avoir choisi ce nom de humens ?

R.S : Il y a plusieurs sens à Humens. Cela signifie que nous sommes une société à taille humaine avec un effectif de 400 salariés, contrairement à nos principaux concurrents qui sont des big players de la chimie. Notre crédo est « small is beautiful ». Par ailleurs, et c’est l’un de nos axes stratégiques, nous développons des produits qui sont à la fois bons pour la planète et pour les hommes et les femmes. Pour protéger la planète, nous avons, par exemple, des investissements en cours dans la transition énergétique de nos sites industriels dont nous pourrons reparler ultérieurement. Et lorsque l’on évoque le développement de produits bons pour les hommes et les femmes, cela signifie que l’on se focalise sur des segments de spécialités premium dans la pharma, le personal care, la nutrition et dans le traitement de fumées de centrales d’incinération. Nous avons également bâti notre entreprise autour d’une culture entrepreneuriale et managériale qui croit en l’humain et favorise l’agilité, la prise d’initiative et la solidarité. Ainsi, les valeurs humaines occupent une place centrale dans notre entreprise – la transparence, la confiance, la mixité et la diversité… – et ces valeurs se transmettent dans nos relations d’affaires avec nos clients et nos fournisseurs pour un dialogue équilibré qui s’inscrit dans la durée. J’ajoute que notre logo est constitué d’un motif sous forme de bulles qui est en réalité la lettre H en braille. Les couleurs, rose et violet, que nous avons choisies avec l’aide d’une agence de communication lyonnaise (Magazine&Fils), nous permettent de nous différencier de l’industrie de la chimie qui est souvent représentée traditionnellement par les couleurs vert, bleu et rouge.

Avez-vous encore des relations avec le groupe Seqens ?

R.S : En fait, nous disposons de deux années, jusqu’en 2023, pour donner à Humens sa pleine autonomie. Cela signifie que nous avons un accord de services pour une mise en autonomie progressive. En réalité, nous sommes déjà quasiment indépendants, au système d’information près. Nous avons déjà séparé nos achats, nos services juridiques, nos fonctions RH… Notre siège est encore installé temporairement à Ecully où se trouve le siège lyonnais du groupe Seqens. D’ici à deux ans, nous aurons notre propre siège.

De quoi est constitué le portefeuille de produits de humens et de quel outil industriel dispose-t-il ?

R.S : Nous avons trois unités de production. Notre site Laneuveville-devant-Nancy, en Meurthe-et-Moselle, est ce que l’on appelle une soudière. C’est le vaisseau amiral de Humens. Il produit à la fois du carbonate et du bicarbonate de sodium, avec la particularité d’être intégré en amont et en aval. À Nogent-l’Artaut, dans l’Aisne, nous produisons des silicates destinés à fabriquer de la silice pour les pneus verts et la détergence. Enfin, nous disposons d’un site à Singapour, sur la presqu’île de Jurong. Il a été démarré, en 2017, en greenfield et produit exclusivement du bicarbonate de sodium pour la zone Asie et Moyen-Orient. Avec cette nouvelle base industrielle, Humens couvre bien l’Europe, l’Asie et le Moyen-Orient. Notre ambition est de renforcer notre position en tant que leader de spécialités au niveau mondial. Pour ce qui est de notre portefeuille de produits – principalement des bicarbonates, carbonates et silicates de sodium – il peut être qualifié de mature, et à ce titre, nous ne faisons pas, à proprement parler, de recherche fondamentale. Pour autant, il reste encore de nombreuses possibilités d’applications à explorer, notamment en nous orientant de plus en plus vers des produits de spécialités et des produits premium. C’est pourquoi, nous misons davantage sur le développement et l’amélioration continue de nos produits pour qu’ils soient plus efficaces dans les procédés de nos clients et sur les marchés finaux. Ceci nous amène à travailler sur la granulométrie et la forme de nos produits/poudres, leur très haute pureté par rapport au trona, leur homogénéité, leur consistance… À ce titre, nous avons adopté la signature « Humens, the purity makers » qui résume parfaitement notre ambition.

Les soudières sont des installations industrielles très énergivores qui consomment de grandes quantités de vapeur, produite par le passé à partir de charbon. Où en êtes-vous de la décarbonation de vos installations ?

R.S : Nous avons effectivement deux investissements d’un peu moins de 200 M€ dans la transition énergétique, qui sont en cours sur le site de Nancy. Le premier projet est porté par la société Novawood, codétenue par Engie Solutions, Humens et la Caisse des dépôts, et il sera opérationnel en septembre 2022. Sélectionné dans le cadre d’un appel d’offres de la CRE, il vise à installer une centrale de cogénération biomasse, qui valorisera des traverses de chemin de fer et des déchets de bois industriels locaux pour produire de la vapeur et de l’électricité verte. L’électricité turbinée sera revendue sur le réseau, dans le cadre d’un contrat long terme, et la vapeur sera utilisée par notre site, en substitution de la vapeur base charbon. Le second projet, baptisé Novasteam, est porté en partenariat étroit avec Suez. Il vise à construire une centrale de valorisation énergétique de CSR (combustibles solides de récupération) qui permettra de produire exclusivement de la vapeur pour notre site à partir de déchets non dangereux provenant de zones proches, aujourd’hui enfouis, demain valorisés. Ces deux projets, en plus d’aider à la décarbonation et de permettre l’arrêt de l’utilisation du charbon, sont des initiatives fortes et concrètes d’économie locale et circulaire.

Pourquoi miser sur deux technologies aussi différentes pour produire de la vapeur sur un même site ?

R.S : Nous préférons diversifier notre mix énergétique pour ne pas mettre tous nos oeufs dans le même panier. Fin 2024, c’est-à-dire demain, nous disposerons du meilleur mix énergétique qui soit, composé à 1/3 de biomasse, 1/3 de CSR et 1/3 de gaz naturel. Nous aurons ainsi effacé 100 % de notre charbon et réduit de plus de 60 % nos émissions de gaz à effet de serre. Notre énergie sera plus verte, plus intégrée à notre territoire, mais aussi plus compétitive que sur une base charbon. Mais pour agir positivement pour la planète, nous souhaitons aller plus loin et actionnons deux autres leviers. Ainsi, nous faisons de l’excellence opérationnelle pour réduire notre consommation énergétique. Pour cela, nous avons un programme qui passe par un travail sur les procédés et les équipements de nos usines pour les rendre moins énergivores. En parallèle, nous étudions la possibilité d’installer de nouvelles technologies de captation ou boucles de recyclage du CO2 sur notre site de Nancy.

Vous venez de développer deux axes stratégiques de votre entreprise, un virage vers des spécialités pharma, le personal care, la nutrition, et la transition énergétique de vos installations. Avez-vous d’autres priorités ?

R.S : Nous avons des objectifs de croissance importants et l’ambition d’une globalisation de nos activités sur les trois continents. Pour l’heure, nous souhaitons surtout procéder par croissance organique et améliorer durablement notre performance financière pour pouvoir réinvestir dans notre outil industriel et procéder à des dégoulottages, par exemple, pour accompagner la croissance des marchés premium. Dans un deuxième temps, nous réfléchirons à des acquisitions très ciblées pour consolider notre positionnement de pure player sur les marchés premium.

Propos recueillis par Sylvie Latieule | Source L’Usine Nouvelle